Préquelle de la note sur la pratique contemporaine voulant faire du terme « post-punk » un synonyme de « gothique ». Revenons à une époque, où la distinction entre ces deux notions était indiscutable pour les gardiens du temple et premiers archivistes du mouvement gothique. Et attardons-nous sur la construction du vocabulaire endogène visant à définir et hiérarchiser les musiques dites sombres.
Dans les années 90, l'adjectif « gothique » était devenu une étiquette fourre-tout, où se confondaient un courant musical historiquement défini mais également la totalité de ce qu'écoutaient ceux qui se disaient « gothiques ». Soient divers courants que les grufties outre-Rhin regroupent plutôt sous le terme de Schwartze Szene :
Pour les producteurs de discours organiques au mouvement, le goth, en tant que scène musicale dut forcément être défini comme référence des musiques sombres, avec un panthéon de groupes dont les styles délimitent l'orthodoxie. Ce glorieux passé fut donc placé sur un piédestal parfois anhistorique, avec le fantasme d'un impact et d'un scandale digne de son ainé punk :
- Le Gothique, la droite ligne : « enfant terrible du post-punk décrié par dégout et/ou par moquerie (…) un des genres les plus matures de l'histoire du rock car contemplatif et esthétisant, et l'un des plus méprisés car outrancier et cynique. »
- Carnets Noirs : Batcave : « théâtralité, exubérance et expérimentation (…) des artistes trop fous pour se produit dans d'autres salles (…) théâtral parfois jusqu'à l'expérimentation pure et simple, tant au niveau musical que scénique. »
Les autres musiques écoutées et étiquetés par les corbeaux ne pouvaient qu'être imparfaites à côté de la pureté du goth originel renommé alors « batcave ». La « cold wave » apparaît pour les puristes comme édulcorées, soft et bourgeoise ; le « gothic rock », massif, travaillé, aux accents barbares et aux atmosphères passéistes ; la « dark wave » allemande, une sorte de revival qui réussit à faire du neuf avec du vieux ; les « heavenly voices », accusées d'utiliser la culture gothique comme faire-valoir commercial.
Dans ce contexte, le concept de « post-punk » ne fut accepté que s'il ne contredisait aucunement l'idée que l'évolution la plus viable du punk était le goth. Ainsi le courant postpunk ne pouvait aucunement exister dans ce système dans le sens employé par Greil Marcus et surtout Simon Reynolds. Le terme y désigna plutôt une génération de punks tardifs et/ou le balbutiement du goth encore en gestation.
Rappelons juste que le goth s'était dégagé de la seconde vague punk en substituant la politique par la sexualité et la religion. En dernière analyse, cette posture issue du glam était bien plus transgressive que réellement subversive. Le côté « culte » et « underground » fut cultivé pour répondre à un public en quête de groupes réservés à quelques initiés. Malgré une musique objectivement plus abordables que celles des avant-gardes pré- et post-punk. Par sa position alors volontairement en marge, le goth ne put jamais réellement se positionner en dehors du rockisme, proposant seulement un spectacle d'opposition au mainstream. Ce qui est plutôt rétrograde, suite aux oppositions au spectacle expérimentées par le punk et le postpunk.
Quant au mythe de la diabolisation du mouvement, il ne trouvera de réalité que par la cooptation de courants plus scandaleux dans le catalogue des musiques sombres. Nombreux corbeaux peuvent donc remercier Marilyn Manson d'avoir offert à l'adjectif « gothique » une aura sulfureuse.
Sources :
Simon Reynolds, Dark Things : Goth and the return of Rock
Fab Crobard, Le Gothique, la droite ligne
Collectif, Carnets Noirs