25/09/2019

Vu à la télé, 2

C'est enfin l'automne, avec une pensée émue pour ceux qui, tout de noir vêtu, souffrent du réchauffement climatique et des canicules de plus en plus fréquentes.

Pour fêter cela, voici une petite archive montrant des punks sombres à la plage au journal de FR3 Provence Alpes en 1986


Avant la popularisation du terme « gothique », le journaliste lance en vrac « cold wave et autres post-punks » et les intéressés préfèrent utiliser le qualificatif très new wave de « mutants ».

A noter que sur ce document, la populace n'est pas encore constituée de « moutons » mais de « larves » qui grouillent.

Pour info : la musique vaguement perceptible en arrière plan n'est pas vraiment dark, car il s'agit de A Certain Ratio et leur punk-funk ici très calme et à la mode new yorkaise.


17/03/2019

Meta Goth

Bien que leurs débuts furent le codificateur de trope qu’est devenu le gothic rock, les Sisters of Mercy restent un groupe à part dans toutes les musiques sombres. Ambiguë, oblique et plein d'humour.


Ci-dessus, un trio alors en fin de vie, leur boîte à rythmes et la voiture des Monkees, un vrai-faux groupe formé par casting pour les besoins d’une série télévisée.

En fait, dès ses débuts, le groupe échangeait dans un « méta-goth » conscient de lui-même. A Leeds, il ne faisait pourtant pas partie de la scène art-school ; mais appartenait aux non-étudiants, en périphérie. Le chanteur / conceptualiste Andrew Eldritch, intellectuel oxfordien, admirait la stupidité et l’implacabilité du classic rock, le heavy metal. En guerre contre la pop, il estimait qu’un retour du rock ne pourrait se faire qu’au prix d’un amour irrévérencieux qui accepterait et soutiendrait son sens inhérent du ridicule. Redoutablement rockiste, ils embrassaient alors l'imagerie américaine et rejetait l'européanisme de la new pop. Sa formule fut donc un mélange maniéré des Stooges, Motörhead et Suicide. Le duo original se nomma à l’origine « The Captains of Industry » avant d'opter pour un emprunt à Leonard Cohen désignant à la fois un ordre religieux et un terme argot pour les prostituées, toujours à des fins de commentaires.
"The name’s nice and ironic (...), which seemed like a very suitable metaphor for a rock band. All this pseudo-faith business and high ritual, and yet – prostitution."
Leur attitude au travers de la parodie était conçue pour à la fois effrayer, divertir, exciter et inspirer le public. Et devint le prototype sonique et thématique d'un rock qui sera plus tard qualifié de « gothic », avec ses insinuations toxicomanes et ses références cryptiques. Visuellement le groupe tranchait avec le glamour de la scène goth : sunglasses after dark, biker chic, cigarettes, le tout caché derrière un brouillard de neige carbonique.


Le véritable intérêt de leurs reprises se situait dans sa dimension méta. Gimme Shelter faisant directement allusion à Altamont, devenu le symbole pesant de la fin du rêve sixties, quand la musique rock s'est arrêté pendant un instant que le trip est devenu aigre.


Et pour les titres repris de Dolly Parton, ABBA ou Kylie Minogue, il s'agissait à la fois d'un jeu sur le rôle présupposé macho d'un frontman et d'une lutte, qui a complètement échouée, pour le droit de devenir une icône gay. 


Eldritch se créa également un rôle de de victime romantique, flirtant avec les stéréotypes et tordant ses sources, mais trop défoncé pour s'en distancier. Les paroles de Walk Away étaient à l'attention de Gary Marx sur le départ. Le fameux concert au Royal Albert Hall en 1985, chant du cygne de la première mouture, étouffa le côté gothique du groupe dans ses propres excès stylistiques. Et la rupture fut rapidement prononcée entre la dialectique cynique du chanteur et l’enthousiasme ampoulé des deux autres musiciens restant.


Alors libéré du gothic rock canonique, et tourné vers l'euro beat et la darkwave de studio, Eldritch revint avec un morceau volontairement grandiloquent, sonnant comme le point culminant d’une soirée disco chez les Borgia. Avec des paroles de rock cliché et dénuées de sens comme si elle avaient été écrite par Wayne Hussey (sic) son ex-compagnon de route.


N’acceptant pas les classifications musicales de la presse et des labels, les Sisters of Mercy sont officiellement un groupe rock'n'roll, une « industrial groove machine », des « legendary techno rock gods » voire même de la « northern pop » mais au grand jamais « goth ». Des dires d’Eldritch le groupe reste effrontément moderniste et conspue le post-modernisme pour son ignorance du passé, sa fausseté et son manque d'ambition.
"The Sisters are occupied by politics and philosophy but we lack a spiritual agenda"
Renié par des nombreux fans de la première heure qui se sont sentis trahis, le dernier album contint la vindicte d'Elritch face à la politique américaine et son industrie culturelle. L'authenticité du rock y fut retournée contre elle-même. Le langage et l'hédonisme du heavy metal des 80s utilisés pour fustiger les yuppies, la valorisation de l'avidité, la propagande, les publireportages et même l'AOR.


Sources:

Andrew Eldritch, Rationale & Rhyme & Reason (2001)

Charles Allen Mueller, The Music of the Goth Subculture (2008)
Karl Spracklen & Beverley Spracklen, The Evolution of Goth Culture: The Origins and Deeds of the New Goths (2018)

NME Originals: Goth (October 2004)
- Adam Sweeting, The Devil's Floorshow (MM, 1983)
- Steve Sutherland, Careless Whispers (MM, 1985) & His Master’s Voice (MM, 1987)
Michael Ruff, Prinz der Feuchtgebiete (Spex, 1988)
Paul Elliott, Cats, Goths & The Sisters Of Mercy: An Audience With Andrew Eldritch (2016)