26/02/2014

Réformer et déformer

Depuis le début du millénaire, les producteurs de discours autour de la subculture gothique semblent vouloir faire du terme « post-punk » la nouvelle étiquette générique de leur catalogue musical qui s'étend de la Batcave au Wave Gotik Treffen.

Compilation sortie chez Music Brokers (2009)

Attardons-nous, sur les origines de cette pratique, ainsi que ses implications dans la compréhension des courants musicaux impliqués.

Il faut dans un premier temps considérer la perpétuelle redéfinition des frontières génériques de la subculture gothique, et donc des épithètes utilisées, par ses membres. L'évolution des codes adjectivaux, en réaction à la mise à jour du vocabulaire musical et esthétique populaire, devient rapidement une nécessité pour une subculture afin de cadrer l'inclusion des nouveaux venus, mais également pour la construction d'une histoire mythique.

Afin de se réclamer d'une descendance directe du punk de 1976, influences et précurseurs sont alors nécessairement inclus parmi les pionniers issus organiquement du mouvement. Bien que cela soit objectivement faux et conduise à ignorer plus d'une demi-décennie de développements musicaux, donnant à de nombreux musiciens des intentions et un positionnement qu'ils n'eurent jamais.

Ainsi depuis le milieu des années 80, la programmation des soirées goths a toujours ratissé au delà des tendances goth/death rock et de la darkwave, s'étendant même à un certain type de postpunk ou à divers tendances indie, comme la dream pop.

Affiche pour une soirée au Boucanier (1988)

En France, les adeptes du mouvement, désignés souvent sous le nom de « corbeaux », eurent même nommé tout cela « cold wave » voire « new wave » ; et ce bien que le véritable courant éponyme (~1976-80) n'y soit pas inclus. Les corbeaux qui découvrirent sur le tard le terme  « gothic », se l'approprièrent enfin. Mais toujours pour une utilisation bien trop large.

Dans les années 90, quand les média sur-usèrent le terme dans des contextes de sensationnalisme, les corbeaux le rejetèrent et s'emparèrent de divers signifiants et réécrivirent téléologiquement nombreuses définitions de sous-genres musicaux.

Ce rejet s'appuie également sur l'écart sémiotique dans l'utilisation des codes adjectivaux par des non-anglophones. Ainsi le qualificatif « goth », avec ses revendications tribales et païennes, renvoie plus facilement pour les francophones aux barbares dans son sens péjoratif. De même pour « gothic » qui perd beaucoup de sa connotation positive, littéraire et romantique, et évoque plutôt une imagerie moyenâgeuse.


Dans les années 2000, la (re)découverte quantitative et qualitative du courant postpunk du fait de son revivalisme international poussa nombreux corbeaux à préférer cet adjectif, apparemment plus neutre, aux éternelles « goth », « dark » ou « cold ».

Supposons l'équivalence entre musiques gothiques et musiques post-punk.

Si la niche alternative que fut le goth est qualifiée de « post-punk » (alors pris dans un sens large) à cause de ses liens avec le punk rock, alors tous les genres de rock issus de la diversité de l'after-punk jusqu'au grunge le sont aussi : alt-rock, indie-pop, hardcore, post-hardcore ... La liste des courants post-punk serait interminable, mais il n'y pas de contre-sens historique en énonçant que le goth est l'un d'entre eux.

Par contre avec une définition plus stricte, il y une différence de fond significative entre la démarche et la musique du courant spécifiquement nommé « postpunk » (~1978-81) et la scène originelle dite « goth » (~1982-85), cette dernière étant même née en réaction au puritanisme et à l'expérimentalisme du premier.



Cela s'applique également pour les développements suivants que sont le gothic rock et la darkwave, qui présentent une posture plus sérieuse mais renouent avec le rockisme et le romantisme pré-punk.

Sources :

Thierry F. Le Boucanier, Batcave Memories
Collectif, Carnets Noirs