07/11/2015

Idéologiquement goth

La présente note prend pour point de départ le sympathique A la Rencontre des Gothiques écrit par Chris Vilhelm et Guillaume Hantz, animateurs de l'émission L'Antre Goth'art, et illustré par Tim (Je Suis Gothique).


Cet ouvrage de vulgarisation énonce assez clairement les axes majeurs de l'idéologie de la subculture :

- un positionnement singulier et marginalisant
« la mauvaise réputation d'une scène restée très underground »
« être gothique c'est d'abord se mettre en marge de la société en rejetant ses carcans bien-pensants. »
« revendiquent le droit de penser et agir différemment de ce qui est généralement admis par la majorité. »
« surtout lorsque les textes et réflexions sont envisagés d'un point de vue peu conformiste. »
« les gothiques se considèrent comme n'étant pas intégrés aux normes de la société »
- une emphase sur l'individu et l'introspection
« profond questionnement et une réflexion sur des sentiments complexes qui mènent à une meilleure connaissance de soi. »
« sortir des carcans et être soit même »
- une provocation et la transgression de valeurs
« les gothiques remettent en contraire la mort à sa juste place dans toute sa dimension dramatique et critique »
« le grand public reproche souvent au gothique ses errances dans des domaines "tabous" effrayants et inacceptables, comme notamment ses promenades et divagations dans les cimetières. »
« volonté de montrer ce qui dérange, parfois à la limite du bon goût, loin de la provocation gratuite aucun sujet ne devrait rester tabou »
« la provocation est davantage l'expression d'un rejet de certaines formes de croyances et de leur place hégémonique dans le monde d'aujourd'hui ou simplement dans l'Histoire. Une lumière est  braquée sur ce qui ne va pas. »
« Entretenir une forme de polémique maintient une tension médiatique quasi permanente »
« Provocateurs face aux mœurs »
Analysons de ce type de récit.

Par définition, chaque instance d'une subculture incarne une solution à un ensemble particulier de circonstances, à des problèmes et des contradictions spécifiques. A travers son utilisation de différents rituels, styles et son appropriation d'artefacts culturels, la subculture gothique s'est ainsi fabriqué l'expression symbolique de sa désaffiliation avec la culture de masse.


Les Goth Kids de South Park (Trey Parker, 2013)

Les références du goth furent souvent sélectionnées pour leurs connotations subversives. Par exemple, les films d'épouvante et la littérature gothique traditionnellement vus dans la culture britannique comme ayant une influence malsaine sur la jeunesse. Quant aux thématiques mortifères ou extrémistes, elle servent également les besoins d'un décor politiquement incorrect, davantage pour la forme que pour le fond.


La reconversion des goths vu par The IT Crowd (Graham Linehan, 2010)

L'imagerie construite ne permettant que des réponses individuelles, en des termes uniquement spirituels et émotionnels, elle peut être mise en parallèle avec la réaction que fut le mouvement romantique, fin XVIII° début XIX°, face aux Lumières.

Le goth partage avec la pensée postmoderne son cynisme et son pessimisme dans la description de la vie contemporaine, la fascination pour le passé et les mondes fictionnels, témoins de l'insatisfaction et des inquiétudes face à la réalité en crise. Nombreuses sous-tendances formulent davantage la quête nostalgique d'un passé idéalisé. A l'instar des peintres préraphaélites, qui en leur temps, s'inspiraient d'un art médiéval perçu comme un modèle de sincérité et de liberté, en mélangeant archaïsme et modernité.

Un livre de coloriage (Mark McCall and Richard Dorey, 2013)

Comme les hippies, les goths sont plutôt issus de la classe moyenne, laquelle a toujours eu tendance à soutenir les valeurs libérales : une célébration de l’individualisme, une fétichisation de la liberté et de la consommation, et la croyance que la culture est le principal vecteur d'ascension sociale. Le goth ne contredit pas vraiment cette idéologie, mais il la reformule par un collage de styles provocateurs et transgressifs afin de proposer un punk nouveau, plus introspectif et sophistiqué. Une sorte de « punk culturel ».

Le récit le plus endogène voit la musique dite « gothique » comme l'unification des matières musicales ayant une tonalité sinistre, mystérieuse ou sombre. Énormément de musiciens embrassent cette conception où scène musicale et subculture ne seraient que des jeux esthétiques post-modernes, expression d'un désir de singularité.


Schématiquement, le goth s'est toujours présenté comme la victoire de l'imagination et de l'individualité sur une apparente médiocrité ambiante. En grande partie du fait de l'attirance de celui-ci pour la Loi du Thélème chère à Aleister Crowley : « Do what thou wilt »

La posture élitiste et le rejet dialectique des « conformistes » ou autres « moutons » pourraient ici être considérés comme du mépris de classe, sur le même modèle que celui qui s'est développé avec la gentrification des professions intermédiaires et l'apparition du concept de « beauf » dans les années 70.


Sources :

Andrew Fereday, Reading Goths the Birmingham Way (2001)
Annie Burger-Roussennac, Goths et Gothique Aujourd’hui. Histoire d’une culture de jeunes à la mode (2005)
Charles Mueller, The Music of the Goth Subculture: Postmodernism and Aesthetics (2008)

Mise à jour 01/03/2019

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